"Les gens qui ont le menton en galoche et les dents qui se déchaussent y mettent vraiment de la mauvaise volonté"
Cette citation de Pierre Dac, prête à sourire, mais il n'est aucunement question de mauvaise volonté.
"Avoir le menton en galoche", du nom d'un sabot courbé constitué de cuir et de bois. Cette expression fait référence à un trait physique disgracieux bien particulier du à une malformation de la mâchoire inférieure plus saillante que la mâchoire supérieure: le prognathisme mandibulaire.
Cette malformation est caractéristique d'une ancienne dynastie souveraine européenne bien connue de nombreux numismates, les Habsbourg.
Il est même question d'un véritable cas d'école, à tel point qu'on utilise le terme de prognathisme habsbourgeois, qui toucha de manière héréditaire de très nombreux membres de cette famille.
En l'espèce, ce prognathisme mandibulaire s'accompagne d'une lèvre inférieure épaisse et proéminente, dite lippe.
De manière hypothétique, on attribue l'origine de cette malformation héréditaire à une lointaine parente du XVème siècle, Cymburge de Mazovie, mère de Frédéric V de Habsbourg, III du Saint-Empire. Pour le surdéveloppement de la lèvre inférieure, la lippe, il serait un héritage laissé par Marie de Bourgogne épouse de l'Empereur Maximilien Ier, fils du précédent.
Ce prognathisme (qui touche aussi bien la branche espagnole après la mort de Charles Quint que la branche dite de Vienne) serait aussi lié à une succession continue et prolongée de mariages consanguins réalisés dans la famille, cause de l'extinction de la branche espagnole de la famille après la mort, sans postérité, de Charles II d'Espagne.
L'iconographie monétaire a bien entendu fait honneur à ce trait physique particulier.
Charles Quint en fut le représentant le plus caractéristique, son prognathisme était tellement conséquent qu'il avait des difficultés à s'exprimer et même à fermer la bouche.
Pour preuve l’ambassadeur vénitien Gasparo Contarini écrivait en 1521 à propos du jeune souverain : " Aucune partie du corps n’était à critiquer en lui, si ce n’est le menton et bien plus la mâchoire inférieure qui était si large et si longue qu’elle ne paraissait pas naturelle mais postiche d’où il résultait que, lorsqu’il fermait la bouche, il ne pouvait joindre les dents d’en bas avec celles d’en haut mais il restait entre elles l’espace d’une grosseur d’une dent aussi en parlant et surtout en achevant son discours, il y avait quelques paroles qu’il balbutiait et que souvent on n’entendait pas très bien ".
Charles Quint, tout comme son frère Ferdinand et son fils Philippe, suit la mode de son temps et opte pour le port de la barbe masquant ainsi ce trait disgracieux. On voit bien sur chaque monnaie, le surdéveloppement de la lèvre inférieure.
LOT n°126 de notre VSO 1 : Demi-Daldre de Besançon, frappé à l'effigie de Charles Quint en 1642 soit 84 ans après la mort de l'Empereur.
On y retrouve un buste expressif et massif mis en valeur par le graveur.
De son abdication en 1555 jusqu'à sa mort en 1558, Charles Quint partage son empire entre son fils et son frère. Philippe aura l'Espagne (avec les territoires coloniaux), les Pays-Bas espagnols, le comté de Bourgogne, les possessions italiennes. Quant à Ferdinand il hérite du trône impérial et des possessions germaniques. Chez Philippe II, Le prognathisme est plus discret, mais bien visible, on retrouve également le surdéveloppement des lèvres sur toute l'iconographie, y compris monétaire:
LOT n°248 de notre VSO 1 : Demi réal d'or de Philippe II frappé à Dordrecht pour le comté de Hollande
LOT n°260 : Ecu Philippe frappé à Maastricht pour le Duché de Brabant en 1558
LOT n°282 de notre VSO 1 : Jeton de la chambre des comptes de Dole frappé en 1589 à l'effigie de Philippe II
Dans la branche viennoise, la transmission de cette malformation héréditaire perdure jusqu'au XIXème siècle. Un exemple ici avec le lot n° 117 de notre VSO 1 : un Thaler de Ferdinand II (petit-fils de Ferdinand Ier) frappé en 1621 à Ensisheim pour le Landgraviat d'Alsace. Les barbes bien fournies de la Renaissance laissent place à partir du début du XVIIème siècle aux boucs et autres barbiches. La mode évolue mais s’accommode toujours de ce menton en galoche :
Pour approfondir, vous pouvez consulter cet article "Légende, art et médecine" écrit par R. Mayer, Doyen de la Faculté de Médecine de l’ULB (1985-89) qui a été très utile à l'élaboration de ce billet. (PDF à télécharger) :
ici
Bonne lecture et à vos ordres ! En effet, les monnaies ci-dessus sont actuellement en vente dans notre Vente sur Offre 1.